Work

Le travail de Delphine Monnereau tourne autour de deux aspects, qui à première vue sont déconnectés l’un de l’autre. Le premier repose sur l’accumulation d’images glanées alors que le second repose sur la matière picturale.
Néanmoins, l’artiste fait appel dans ces deux cas à un thème récurrent : le corps.

A travers une collection d’images constituée sur xxx années, l’artiste a minutieusement réalisé une œuvre totale, à la manière du Merzbau de Kurt Schwitters.
Tout comme le projet Mnémosyne d’Aby Warburg, qui résidait en une narration d’une histoire de l’art essentiellement véhiculée par des images agencées entre elles, l’artiste a disposé image par image le sol de son atelier pendant un an.
Lieu de travail, l’atelier est devenu le support inattendu d’un travail en devenir.
Le choix des images variées sur différents thèmes (histoire de l’Art et l’histoire des sociétés) est le prolongement d’une pratique que l’artiste a développé dès ses études sous forme de petits carnets, répertoires d’images issues de la mémoire collective et encyclopédie subjective d’un monde gravitant autour de l’artiste.
La figure humaine, parfois fragmentée, y est omniprésente.
Cette multitude d’images n’est que le reflet d’un corps qui pourrait être celui de l’artiste, un regard qui l’espionne autant qu’il veille sur elle.
Ce sol forme un environnement tourné en lui-même, dont l’artiste ne serait qu’une image parmi d’autres.
Mais le sol est aussi un marqueur des passages du temps. Une tache de peinture, un jaunissement, des altérations qui viennent abimées cette sélection de photos, la modifier pour toujours et qui leur confèrent le statut d’archives. Il s’agit en effet d’un instantané d’une mémoire collective dont Delphine Monnereau est l’architecte. A travers sa sélection, elle transpose sa mémoire personnelle en mémoire collective, passant du souvenir à l’archive.

Par l’action de recouvrement de son atelier, l’artiste s’enveloppe elle-même de ces images. Elle se recouvre et se protège, par une couche d’images qu’elle a vitrifiée, pétrifiée, figée. Elle a créé une peau qui la représente. Le sol n’est-il pas la base de notre construction ? Une civilisation par-dessus l’autre, le sol est le témoin d’une généalogie mais aussi d’une géologie. Il est à la fois surface et profondeur. Un état en transition menacé d’être à nouveau recouvert par une nouvelle couche. Cet espace frontière, état à la limite, insaisissable se retrouve dans sa série Palimpseste.

Peinture rose très matiérée, Delphine Monnereau explore une surface en volume.
Si son sol reprenait des photographies, ses peintures sont dans un registre plus abstrait bien que la gamme chromatique ne laisse que peu de doute sur l’inspiration : la peau.
Encore une fois, le travail de l’artiste renvoie à cette frontière qui la place à la fois en dedans et en dehors.
Dans Le Moi et le Ça (1923), Freud aborde ce don d’ubiquité du corps. Car il est le lieu « d’où peuvent partir en même temps des perceptions internes et externes. »
Il est question de sensation pure. La peau, qui protège et qui stimule, est ici la base d’un paysage imaginaire mettant en scène des écorchures, des accidents et une beauté insoupçonnée. L’artiste semble fascinée par ses petits éléments fondamentaux, tel un scientifique qui regarde à travers la loupe d’un microscope.
De la même manière que Marcel Duchamp évoquait le concept d’infra mince comme relevant d’une dimension « aussi réduite que possible », l’artiste sonde un matériau viscéral à une échelle démesurée au-delà de l’imaginable et qui laisse voir dans une certaine dégénérescence la beauté du corps. Le cadrage de ses peintures parle de la cicatrice. Elles sont comme des morceaux de chair découpés qui pourraient composer un individu, les traces d’un temps qui a passé et qui a marqué l’existence, une topographie humaine.
Avec les palimpsestes, Delphine Monnereau est emportée dans une obsession d’aller toujours plus loin dans l’exploration de la matière où chaque nouvelle membrane révèle des trésors ensevelis dont elle seule connait le dénouement.

Agnès NOEL 2016

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