« You’re wearing a mask / You look better that way » *
On ne cache pas son visage derrière un masque, on le réduit à son essence
: le regard. Nous regardons à travers le masque mais lui-même, une fois posé sur une table ou accroché au mur, ne cesse jamais de nous observer. C’est alors qu’apparait, de manière paradoxale, le vrai visage du masque. Celui de notre étrangeté.
La peau n’est plus que matière, minéraux, terre et verre réunis par la fusion du feu. L’humain, enfin, se soude à la véritable nature du monde, l’épouse, devenant à son tour sédiment, coquille, carapace, moulage laissé par la lave.
L’être humain masqué se souvient de lui-même. Souvenir confus, comme rêvé, d’ancêtres face à leur peur primitive, conjurée par le Rite. Ancêtres encore en nous, par la trace de leurs mains sur la paroi des grottes, par la peinture de leurs visages – tout ce qui pourra les aider à affirmer leur existence face aux éléments que manipulent des divinités hostiles, dont il faut se protéger par des leurres, des mythes, des masques grimaçants. Les aurochs et les tigres ne s’attaqueront pas aux hommes masqués, aux hommes désormais symboliques, qui bientôt s’affubleront des masques d’animaux et gagnerons, du moins le croyaient-ils, le combat de l’animalité.
La vie sublimée par l’Art devient immortelle. Seuls les artistes et les alchimistes le savent. Bien souvent ils ne font qu’un et portent le même masque, celui de la malédiction de ne pas vivre ici-bas leur existence.
Fragilité des hommes dont il ne resterait pas trace sans les offrandes faites aux forces cosmiques, qui mèneront à la plus transcendante des inventions humaines : la Beauté.
Masques d’argile, de bois puis de bronze. Façonner la matière brute, la faire plier, la recouvrir d’éléments solides ou liquides, jusqu’à en faire l’objet d’une vaste parade. Des pigments dont on se fardait les joues naitra un maquillage plus sophistiqué, recouvert de peinture multicolore, de feuille d’or, d’émail et de pierreries, à même la surface du masque.
Masques d’hommes, de femmes et d’enfants en mouvement. Territoires opposés – Alaska, Pérou, Niger. Toutes les Afriques, toutes les Océanies posées sur nos figures. Masques des cultures, des migrations, du nomadisme. Masques des flux contradictoires, des errances.
Masques souriants, festifs, guerriers, paisibles, boudeurs, sereins, masques des émotions infinies. Masques manifestes, identitaires, sociaux, révoltés. Abolition des tares et des privilèges physiques, puisque tout masqué se fait beau. Et toujours ce goût du jeu, de la transformation et de la représentation, de la présence d’un autre en soi. Flottement des apparences.
Masque masquant.
Masque révélant.
Masque démasquant.
« You’re wearing a mask / Wich mask are you ? »
*Iggy Pop (Mask)
Milan Dargent
Parpaing
Au début un matériau brut de construction, un parpaing constitué de ciment et d’agrégats friables. Recouvert d’images puis vitrifié, l’objet urbain, gris et banal devient un objet précieux. Cet aspect est renforcé par la feuille d’or. L’or souligne les cassures de l’objet et suggère un fluide interne minéral. L’assemblage d’images juxtaposées, fait référence à la construction sociale humaine. Recouvert d’images laquées aux multiples références, le parpaing devient vestige, trace d’une humanité sublimée par sa culture et la diversité de ses expressions.
Rivière d’images
Collage sur linoleum réalisé sur le sol de l’atelier de Montreuil entre 2014 et 2015. Les 25m2 d’images, références à l’histoire sociale et à l’histoire de l’Art, sont un petit concentré d’humanité se déroulant sous la forme d’un grand tapis.
Le spectateur, invité à fouler le sol, entre dans l’espace, comme dans une aire de jeu. Jeu de mémoire et de reconnaissance.
Imbriquées, accumulées et juxtaposées, les images suivent l’espace de l’atelier dans un mouvement rotatif produisant une forme de vertige.